Par quatre arrêts du 11 février 2016, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rappelle « qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées [d’un prêt immobilier] se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » (Cass. 1ère civ., 11 févr. 2016, n°14-28.383 ; Cass. 1ère civ., 11 févr. 2016, n°14-22.938 ; Cass. 1ère civ., 11 févr. 2016, n°14-27.143 ; Cass. 1ère civ., 11 févr. 2016, n°14-29.539).
La Cour de cassation a ainsi fait la stricte application :
- D’une part, de l’article 2224 du code civil qui pose un principe général pour la fixation du point de départ du délai de prescription de droit commun, à savoir que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
- Et, d’autre part, de l’article 2233 du code civil qui précise, en particulier, que « La prescription ne court pas :
1° A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;
2° A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;
3° A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé. »
Ces dispositions légales tiennent, en l’occurrence, du bon sens. Comment, au contraire, opposer à un créancier la prescription d’une action qu’il ne serait pas en mesure d’exercer dans les faits, à défaut d’exigibilité de sa créance (Cass. 1ère civ., 9 juin 1998 : Bull. civ.I, n°206 ; Cass. 3ème civ., 14 juin 2006 : Bull.civ.III, n°151).
En effet, dans le cadre d’une créance à échéances successives (un prêt en l'occurence), chacune des échéances n’est exigible qu’à compter du terme qui lui est fixé. C’est pourquoi c’est également à compter de ce terme que le délai de prescription de l’action du créancier (de cinq ans en droit commun ou de deux ans, en application de l’article L.137-2 du code de la consommation, pour les actions des professionnels relatives aux biens ou services qu’ils fournissent aux consommateurs) commence à courir pour chacune des échéances.
Ainsi, à l'égard d'une dette payable par termes successifs, le point de départ du délai de prescription n’est pas unique.
Dans un arrêt du 28 juin 2012, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait, à ce titre, déjà rappelé que le point de départ du délai de prescription se divise « comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance » (Cass.1ère civ., 28 juin 2012, n°11-17.744).
Par ces quatre nouveaux arrêts du 11 février 2016, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en déduit et précise, en outre, que « […] si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ».
Il s’agissait dans ces quatre affaires, du défaut de paiement d’échéances de prêts immobiliers consentis par des professionnels à des consommateurs et soumis en tant que tels, au délai de prescription raccourci de deux ans, conformément à l’article précité L.137-2 du code de la consommation (Cass. 1ère civ. 28 novembre 2012 n°11-26508).
Or, il convient de rappeler que dans le cadre de l’exécution d’un prêt immobilier, à défaut de paiement de mensualités par l’emprunteur, le prêteur peut prononcer la déchéance du terme du contrat, c’est-à-dire l’exigibilité anticipée du solde de celui-ci.
Dans ce contexte, les mensualités antérieures à cette déchéance restent exigibles à la date prévue dans le tableau d’amortissement, à compter de laquelle le délai de prescription de deux ans de l’action du prêteur a déjà commencé à courir pour chacune d’elle.
Les mensualités postérieures deviennent, en revanche, toutes exigibles de manière anticipée à compter de la déchéance ; ce qui marque alors le point de départ commun, pour le solde du prêt, du délai de prescription.
C’est précisément sur cet aspect que trois arrêts de Cours d’appel ont été cassés et annulés par la Cour de cassation le 11 février 2016.
Ces Cours d’appel avaient considéré l’action du prêteur professionnel prescrite en retenant, à tort, que : « le prononcé de la déchéance du terme, laissé à la seule appréciation du créancier, ne peut constituer le point de départ du délai de prescription, et qu'en revanche, par application des articles 2224 du code civil et L. 137-2 du code de la consommation, le point de départ de ce délai se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée, soit, dans le cas d'une action en paiement au titre d'un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » qui était, dans ces espèces, effectivement intervenu il y a plus de deux ans.
Ce faisant, ces Cours d’appel ont appliqué un point de départ unique au délai de prescription de ces dettes pourtant payables à termes successifs et donc exigibles à des dates différentes, en violation des textes précités.
Les juges d’appel ont manifestement voulu ainsi sanctionner indirectement les établissements prêteurs qui ont peut-être tardé à prononcer la déchéance du terme des contrats de prêt en dépit de nombreuses échéances impayées par leurs emprunteurs.
A cet égard, la Cour de cassation a cependant rappelé qu’il ne saurait, pour autant, être porté « […] atteinte à la substance des droits et obligations légalement convenus entre les parties […] » en privant « […] l'établissement prêteur de sa créance en capital, prétexte pris d'une fixation du point de départ de la prescription au jour du premier incident de paiement non régularisé […] » ; « […] le prononcé de l'exigibilité anticipée du prêt [constituant en effet] une prérogative contractuelle du prêteur confronté à la défaillance de l'emprunteur […] ».
En outre, l’inaction des établissements prêteurs apparaît déjà suffisamment sanctionnée par l’application du délai raccourci de prescription de deux ans qui est opposé aux professionnels en cette matière des prêts consentis à des consommateurs.